Seitelbach: Sur les interventions Françaises au Sahel

 

French President Emmanuel Macron visits French troops in Africa’s Sahel region.

 

Deux semaines après son élection à la Présidence de la République Français, Emmanuel Macron s’est rendu le 19 Mai 2017 à Gao au Mali, en tant que chef des armées, pour rencontrer les forces de l’opération Barkhane et réaffirmer l’engagement de la France dans la lutte contre le terrorisme Islamique au Sahel. Cependant, cette volonté exprimée de ne pas abandonner les pays de la zone d’influence Française en Afrique à l’expansion Islamiste semble ternie par le faible impact des interventions militaires successives dans la région.

La France a lancé l’opération Serval en 2013,  à la suite d’un appel à l’aide du Président Malien, Dioncounda Traoré,  dans le but d’éliminer les cellules de militants islamiques du Nord qui tentaient de déstabiliser le gouvernement Malien. L’opération Serval a engagé environ 5000 soldats Français dont 9 ont perdu la vie. Notons que l’armées Canadienne a contribué à l’intervention, avec des forces aériennes et notamment un avion transporteur CC-177 Globemaster III. Cette mission a constitué un premier chapitre dans la guerre contre le terrorisme au Sahel, et s’est terminée le 15 Juillet 2014 par ce qui a été présenté au public comme une victoire dans la libération du territoire Malien.

En effet, l’opération Serval a permis en grande partie d’expulser les cellules Islamiques du Nord du Mali. Les troupes Françaises incluant des forces antiterroristes et aéroportées ont pris en chasse et ont éliminé de nombreux chefs de clans islamiques. En Mars 2013, le Président François Hollande annonçait la mort du chef d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), Abdelhamid Abu Zeid, qui était responsable de la poussée islamique vers l’Ouest du Mali et de l’enlèvement de ressortissants Français travaillant dans la région. L’évènement constituait la première d’une série d’éliminations ciblées autorisées par le gouvernement Français. En Mars 2014, Oumar Ould Hamaha, dit Barbe Rouge, a été tué au cours d’une opération dans la région de Kidal au moyen d’un drone de fabrication Américaine. Hamaha était un collaborateur de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, leader du groupe Al Murabitoun, et avait participé à l’enlèvement d’occidentaux comme le diplomate Canadien Robert Fowler au Niger en 2008. Enfin, en Mai 2015, le chef Abdelkrim Al Targui, Le Touareg, était également éliminé. Il avait revendiqué l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journalistes de Radio France Internationale en Novembre 2010 à Kidal. Malgré ces succès à disperser les cellules Islamistes, obtenus grâce à la bonne collaboration des forces aériennes avec les forces des opérations spéciales au sol, des poches de rebelles n’ont jamais cessé d’opérer et d’autres chefs de grande envergure tels que Mokhtar Belmokhtar ou Iyad ag-Ghali ont réussi à fuir vers la Libye et l’Algérie respectivement.

En parallèle, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) forte de 11.000 casques bleus, et qui avait débuté en Avril 2013, a eu comme objectif un certain nombre de tâches sécuritaires telles que la stabilisation du territoire et la protection de la population civile, pour favoriser une transition politique dans le cadre d’un processus de paix qui avait débuté en Mai 2015 et s’annonçait politiquement complexe.  L’accord de paix d’Alger avait été signé, entre le gouvernement Malien, les cellules armées et l’ex-rébellion Touareg et il prévoyait – entre autres – la reconstruction du secteur de la sécurité Malienne et une aide humanitaire aux populations au moyen de projets de développement économique, social et culturel.

Pourtant, à la fin de l’opération Serval, certaines zones de la région Nord connue sous le nom d’Azawad échappaient encore au contrôle des forces Maliennes. De plus, à partir de 2015, les attaques Islamistes longtemps concentrées dans le Nord se sont étendues vers le Centre, puis vers le Sud du Mali. Pour endiguer cette nouvelle menace, la France ayant pris conscience de la dimension régionale de la lutte contre les mouvements islamiques lançait l’opération Barkhane, le 1er Août 2014, qui mobilisait 3500 soldats Français sur cinq pays du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad et Mauritanie). Cette opération, encore en cours actuellement, avait pour mission d’appuyer les forces de ces cinq pays (Le G5 Sahel, fort de 5000 soldats Africains) dans leur lutte contre les cellules Islamiques et de « favoriser une appropriation Africaine de la gestion des crises ». Au cours de cette opération Barkhane, 800 missions ont été conduites sur l’ensemble du Sahel, 200 terroristes ont été mis hors de combat, 16 tonnes d’armes et de munitions ont été saisies, bien que 10 soldats Français aient trouvé la mort.

Ces nouveaux succès militaires n’ont toujours pas mis fin aux actes terroristes. En Juillet 2016, une attaque perpétrée sur une base militaire Malienne a tué 17 soldats Maliens et a été revendiquée par le groupe Ansar Al-Din mené par Iyad ag-Ghali. Puis en Janvier 2017, un véhicule suicide a explosé dans une autre base militaire près de Gao, faisant 77 tués et 115 blessés. En Août 2017, trois hommes armés ont attaqué un café restaurant de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso membre de la coalition du G5 Sahel, tuant 18 personnes, cette fois à l’extérieur du Mali. Par conséquent, malgré les deux opérations Serval et Barkhane, le Mali est maintenant perçu comme une menace pour les pays voisins tels que le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Niger, eux aussi victimes d’attentats terroristes revendiqués par des cellules Maliennes. De plus, un quart de millions de réfugiés Maliens ne sont toujours pas retournés dans l’Azawad et certains tentent le voyage vers l’Europe.

Dès lors, la défaite des Islamistes en 2013-2014 apparait aujourd’hui comme une défaite tactique et non stratégique, tant les premiers succès militaires Français n’ont pas donné lieu à la stabilisation,  pour des raisons géographiques et politiques. Au contraire, les cellules terroristes se sont réorganisées du fait que l’opération Serval, centrée sur le seul Mali, ait déplacé les Islamistes au-delà des frontières. A Paris, on s’inquiète d’un enlisement sans fin de l’opération Barkhane comparable à celui des troupes Américaines en Afghanistan, dans un conflit où les forces Françaises font face à des petites cellules dispersées extrêmement mobiles, bénéficiant d’un territoire immense et désertique qui s’étend sur plusieurs pays dont les zones frontalières échappent au contrôle de leurs gouvernements respectifs, tels que le Sud de l’Algérie, et l’Ouest du Niger. Par ailleurs, la guerre civile en Libye favorise l’importation de miliciens et d’armes qui aliment l’insurrection du Mali.

Sur le plan politique, le processus de paix tarde à être implémenté et les mouvements Islamiques n’ont aucune peine à recruter, profitant du mécontentement qui s’explique par la marginalisation économique ou communautaire des minorités, exacerbé par la désertification due au changement climatique. Il semblerait que les politiciens de Bamako ont profité du début de pacification Française pour éviter de faire des concessions dans le cadre du processus de paix. A l’origine de l’insurrection Touareg se trouvait une grave crise de gouvernance caractérisées par un état ayant choisi de servir les élites politiques de la capitale plutôt que les populations. De ce fait, les revendications initiales des Touaregs n’ont jamais été résolues. Au Mali et dans les autres pays de la zone du Sahel, les systèmes d’éducation et de santé sont en ruine, la corruption est rampante, et l’état kleptocrate est parfois impliqué dans le crime organisé tel que les narco trafiques.

Cet environnement peu démocratique affecte la légitimité de l’opération Barkhane où la France est en partenariat avec les forces militaires de cinq pays Africains perçues par les populations locales comme des milices brutales faisant peu de cas du respect des droits de l’homme et dont les mesures antiterroristes se résument souvent à des arrestations arbitraires, exécutions, et tortures. Pourtant, les cinq gouvernements ne reçoivent aucune pression internationale pour améliorer leur traitement répressif des citoyens et opposants politiques.

Pour établir une paix durable, les succès militaires doivent être accompagnés de la volonté politique d’établir les bases d’une bonne gouvernance caractérisée par des reformes du secteur de la sécurité et l’établissement de la justice sociale afin de dissuader la population d’entamer une nouvelle rébellion.

Le Président Macron a la capacité de mettre les dirigeants des pays du Sahel face à leurs responsabilités dans la lutte contre la corruption et pour la dépense judicieuse de l’aide internationale au profit des populations, au nom des sacrifices des soldats Français.

 

Emmanuel Seitelbach est un technologiste et un analyste de questions de sécurité et défense.

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