Michael Eric Lambert: L’indépendance de l’Écosse, une menace pour James Bond et le soft power de la Grande Bretagne?

 

Le célèbre Agent 007, personnage inventé de toute pièce par l’auteur Ian Fleming après son expérience en tant qu’agent du renseignement pendant la Seconde Guerre mondiale, arrive en tête des figures les plus populaires au Royaume-Uni. Si l’on demande à l’Homme de la rue ce que lui évoque la “Grande Bretagne”, que cela soit en Europe, en Amérique du Nord ou sur le continent asiatique, James Bond arrive largement en tête aux cotés de la Reine, du whisky Écossais, et même devant Harry Potter.

L’agent du MI6 est tellement connu de tous que l’on oublie souvent ses origines, sans même oser questionner son affiliation à la Couronne. La question semble cependant d’actualité avec le referendum sur l’indépendance de l’Écosse. En effet, en cas d’indépendance, celui-ci devra choisir d’entrer dans les futures Services Secrets Écossais, ou bien de revenir dans son pays maternel, la Suisse. Une perte nette pour le soft power de ce qui resterait de la Grande Bretagne.

La personne de Ian Fleming est en effet pleine de contradiction. Le père de James Bond remonte à 1953 où il apparaît pour la première fois dans le roman “Casino Royal”, son père “Andrew Bond” est un écossais originaire de Glen Coe, lieu où – non sans une certaine ironie – 38 membres du clan MacDonald furent tués en refusant de prêter allégeance à Guillaume II d’Angleterre en 1692. Le film Skyfall se  déroule dans cette même région. Ce dernier rappelle lui-même les origines de l’agent 007, qui même s’il affirme ne “jamais avoir aimé cet endroit”, y a passé son enfance. Tout dépendra naturellement des conditions du futur gouvernement écossais sur l’obtention de la citoyenneté, et des négociations avec ce qui restera du gouvernement à Londres, mais si celles-ci déterminent l’appartenance à l’Écosse avec le Droit du sang, ou le Droit de la terre, Bond deviendra immédiatement Écossais. D’une manière assez paradoxale, celui-ci pourrait demander la citoyenneté britannique et refuser ou cumuler la citoyenneté écossaise. Malheureusement pour Bond, cela dépendra de son temps de résidence en Angleterre, qui est probablement inférieur à 6 mois par an du fait de ses nombreux voyages, ce qui l’empêcherait possiblement de clamer son obtention.

Cette spéculation d’une demande de 007 pour rester “britannique” et refuser d’être “Écossais” part du principe que celui-ci ne souhaite pas rejoindre les futurs Services Secrets écossais, ce qui n’a rien d’une certitude dans la mesure où l’on ignore encore les avantages que ces derniers proposeront par rapport à ce qui restera du MI6. Il semble important de noter qu’à ce jour le MI5 et MI6 sont parmi les services de renseignement les moins flexibles en termes de nationalité, et obtenir un travail implique souvent de renoncer à la double citoyenneté, ce qui s’avérerait être un problème majeur pour l’ensemble des personnes qui y travaillent. À l’inverse, l’Écosse indépendante pourra décider ou non, comme le font beaucoup d’autres pays d’Europe, d’accepter la double nationalité dans ses services. Les origines de Bond se retrouvent dans les premiers films, ou l’Écossais Sean Connery joue le rôle du personnage, avec un accent prononcé.

La mère de Bond est pour sa part originaire de Suisse, Fleming s’inspirant de sa propre fiancée Monique Panchaud de Bottens, probablement francophone. Cela explique les nombreuses aventures et séjours de 007 en Suisse, le fait qu’il parle parfaitement français, et qu’il perde tragiquement à l’âge de 11 ans ses  deux parents dans un accident d’alpinisme à Chamonix-Mont-Blanc. Bond a également étudié à l’Université de Genève, probablement en français à une époque où les cours en anglais étaient plutôt  rares.

007 pourrait donc probablement réclamer la double citoyenneté Suisse et envisager de rejoindre les Services Secrets de la Confédération, avec un salaire bien plus conséquent, d’autant plus que ce dernier parle le français, mais aussi l’allemand, deux des quatre langues officielles du pays.

Il reste donc difficile de dire si l’agent secret le plus connu au monde pourra et décidera de rester dans un Royaume Uni sans Écosse, le Brexit jetant également une incertitude sur ses avoirs et sa capacité à voyager librement dans toute l’Europe, où il apprécie notamment de faire du ski. À ce propos, rappelons que 007 fut brièvement marié à une française d’origine Corse, qui décèdera tragiquement. Il semble donc fortement apprécier ses séjours en Europe. Les femmes du continent ne sont pas sa seule “préférence”, celui-ci apprécie le champagne français Taittinger, le whisky Macallan, la vodka des pays Baltes, et le Bourbon. Ces cigarettes de prédilection sont également les Morland Specials de Macédoine.

En bref, le James Bond de Ian Fleming est “international”, mais avec la construction de l’Union européenne, celui-ci est en réalité de nos jours l’exemple type de l’Européen qui aurait effectué un Erasmus en Suisse, aimerait certaines choses qu’il aurait découvertes lors de ses voyages dans l’espace Schengen, et serait tombé amoureux des femmes qu’il aurait rencontrées lors de ses vacances, ce que vit actuellement toute une génération de jeunes européens sur le continent.

Sa relation de proximité avec l’Europe ne se limite pas à ses choix dans sa vie privé, mais également dans son travail. Impossible de détacher de son Aston Martin anglaise, mais il lui préfère la marque bavaroise BMW entre 1995 et 2002. Son arme, le Walter PPK est également le fleuron de l’industrie militaire allemande, même si dans les romans de Fleming il aborde un Beretta 6.35 mm d’origine italienne.

Quelles seraient les conséquences d’une indépendance de l’Écosse pour James Bond ? La figure populaire devrait justifier son affiliation au MI6, ce qui s’avérerait difficile à concevoir sur un plan psychologique, celui-ci n’aurait donc pas ou peu d’attachement émotionnel au pays de son père. Il serait juridiquement contraignant pour 007 de devenir un citoyen britannique au regard de la loi et du manque de flexibilité du processus de recrutement du MI5 et MI6. Cependant, rester dans un MI6 post-Brexit n’apporterait que de nombreux désavantages pour l’agent, rejetant son identité “européenne” résolument ancrée par Ian Fleming dans ses habitudes quotidiennes.

La possibilité de rejoindre les Services Secrets d’Écosse s’avérerait loin d’être improbable. Premièrement car James Bond aurait la possibilité juridique de la faire sans entraves, deuxièmement car il obtiendrait probablement une promotion au regard de son expérience au sein d’un nouveau Service, ce que ne lui propose pas l’actuel MI6.

Dans le monde réel, cela signifierait une perte nette pour le soft power de ce qui resterait de la Grande Bretagne, qui devrait renoncer à son drapeau en même temps qu’à l’agent secret le plus connu au monde. En revanche, cela s’avérerait un splendide coup de communication pour l’Écosse, qui aurait à son service une figure populaire de renom, et pourrait l’utiliser tant dans ses campagnes de recrutement pour sa  future armée, que pour ses services de renseignement. 007 sera-t-il l’apanage du soft power de l’Écosse dans un avenir très proche ? Les Écossais en décideront dans les prochaines années.

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